Éclairage : “Le cadeau des agences de notation aux investisseurs opportunistes”7 avril 2017
Le 9 novembre 2011, après deux acquisitions bien trop chères et une importante hausse de sa dette, la sanction de Fitch est tombée…implacable : la note de crédit de Lafarge, leader européen du ciment, était ravalée au rang de junk bond. Le prix de ses obligations s’est instantanément effondré et le taux actuariel s’est envolé à plus de 8% pour les souches de plus de 5 ans. De très nombreux gérants de fonds et investisseurs institutionnels contraints par des limites de notation précises se sont vus obligés de vendre dans des conditions désastreuses et malgré leur conviction pour la plupart que le risque de non remboursement de leurs créances sur Lafarge était inexistant.
Ce désastre financier provoqué par le concert des agences a fait des heureux. Des investisseurs avisés et sans contraintes de notation ont fait leurs emplettes obligataires dans des conditions inespérées. Et sans prendre de risques : la valeur des actifs de Lafarge était deux fois supérieure à sa dette. Et quels actifs ! Des cimenteries, des gravières, des usines de granulats…des entités rares car soumises à de très nombreuses autorisations dans nos économies attentives à l’environnement…rares donc désirables. Les actionnaires avaient sans doute des interrogations sur la rentabilité de leurs titres mais la qualité du compte de résultat est parfois le cadet des soucis des créanciers. Il y a bien d’autres façons de s’assurer du remboursement d’une dette.
Les acheteurs de ces obligations au rendement inespéré ont pu mesurer à quel point la note d’une agence peut être sans rapport avec la solidité de la dette d’un émetteur qu’elle est censée étalonner. Pourquoi un tel écart ?
Parce que les agences suivent un processus précis qui peut se résumer à une analyse mécanique selon une grille de facteurs ayant chacun un poids prédéterminé. Et c’est là que le bât blesse. Un de ces facteurs peut avoir une importance cruciale et peut éventuellement permettre d’oublier tout le reste. Ainsi pour Areva, la situation effroyable des comptes et la dette colossale ne pèsent rien en regard de la garantie implicite de l’état français. De fait, l’état n’a pas eu d’autre choix que celui de recapitaliser massivement la société. L’analyste de Standard&Poors n’avait d’ailleurs pas grand doute sur cette recapitalisation mais il a dû malgré tout lui attribuer la note catastrophique de B.
Autre exemple Tereos, numéro un français du sucre et de l’éthanol, qui avait connu une sérieuse dégradation de ses comptes en 2014 et avait vu sa note tomber au rang de « junk ». C’était sans compter sur sa structure coopérative avec 12 000 coopérateurs dont la totalité des betteraviers français qui n’ont pas d’autre débouché que Tereos. En cas de difficultés, Tereos sait qu’elle peut compter sur l’appui financier de ses coopérateurs dont certains ont la réputation d’avoir des poches profondes. La solidité de cette gigantesque coopérative va bien au-delà de l’examen de son bilan et de ses comptes.
Valeur des actifs, garantie implicite d’un état, structure coopérative ou mutualiste….voici quelques exemples d’éléments saillants auxquels la méthodologie des agences ne sait pas accorder le poids qu’ils méritent. Il y en a beaucoup d’autres : situations oligopolistiques et donc capacité à relever les prix en cas de besoin, reconfigurations en cours, valeur stratégique d’une entreprise. La liste est longue de sociétés dont la qualité de crédit pourrait sembler douteuse – ou pire – mais pour lesquelles les prêteurs ont une raison particulière d’être confiants.
Voilà pourquoi des investisseurs peuvent acheter des créances solides avec des rendements qui sont loin d’être indigents. La méthode de notation des agences promet un festin aux créanciers opportunistes.