“Sortie de crise : une trajectoire incertaine” : Flash Eco-Marchés-Gestion du 6 avril 20206 avril 2020
- Dans ces circonstances inédites, le questionnement et l’observation nous semblent largement préférables à la prévision.
« En temps normal, on ne sait déjà pas prédire ce qui arrive en économie, alors en ce moment, bonne chance… ». Ces mots sont d’Esther Duflo, prix Nobel d’économie 2019, dans une interview donnée au magazine Le Point le 19 mars. Nous n’aurions pas su dire plus simplement le fond de notre pensée. Beaucoup d’économistes et de stratégistes s’emploient à faire des prévisions depuis le déclenchement de la crise, prévisions qui à peine publiées sont aussitôt invalidées et drastiquement révisées à la baisse. Nous en sommes en moyenne au troisième scenario en six semaines. Fin février, nous avions un ralentissement économique mondial, mi-mars une récession modeste et fin mars un effondrement économique global suivi d’une vive reprise au second semestre.
Comment s’en étonner ? Les circonstances que nous vivons sont exceptionnelles et le scenario de la crise sanitaire s’écrit petit à petit. Le scenario économique à son tour dépend de questions auxquelles nous n’avons pas encore de réponses : combien de temps va durer le confinement pays par pays ? Comment se fera pratiquement la sortie du confinement et la remise au travail des populations ? Quelles seront les mesures sanitaires ensuite et jusqu’à quand ? La confiance des populations et donc l’envie de dépenser reviendront elles rapidement ?
Plutôt que de bâtir des scenarios économiques et financiers sur la base d’analogies avec le passé alors même qu’il n’y a rien de comparable dans le passé, il nous semble plus judicieux de se poser les bonnes questions et d’attendre que les réponses se dessinent doucement. Oublions les scenarii a priori en V, en U, en W, en L, de reprise rapide ou différée, de pente douce ou de pente raide ! Questionnons et observons !
- Les marchés financiers n’ont peut-être pas fini leur baisse.
Le déroulement d’une crise boursière est assez invariable car il est sous tendu par des phases psychologiques des investisseurs qui s’enchainent logiquement: dislocation (phase de surprise et de liquidation de positions), agitation (phase d’interrogation et de recherche d’un point bas, ajustement du scenario économique et financier, ajustement des portefeuilles), reprise (dès que les anticipations sont suffisamment dégradées et que les surprises ne peuvent plus être que positives).
Étant désormais dans la phase d’agitation, les indices boursiers devraient retester les points bas dans les semaines ou mois à venir. Mais irons-ils encore plus bas ? Ce n’est pas à exclure. Penser que nous ne verrons pas de point plus bas sur les indices boursiers, c’est penser que le pire est déjà intégré par les marchés financiers, que le consensus est suffisamment dégradé et que nous ne pouvons plus être surpris négativement. Or l’incertitude ne porte plus sur l’ampleur de la récession – il est acquis qu’elle est mondiale et d’une grande amplitude – mais sur la trajectoire de la reprise. A quelle vitesse les économies vont-elles revenir au niveau d’avant crise ?
Prenons les Etats-Unis. Nous avons lu ces derniers jours un grand nombre de « prévisions » de grands bureaux d’analyse, du plus optimiste, celui de JP Morgan, à un des plus pessimistes, celui de Goldman Sachs. Selon Goldman Sachs, nous toucherons le point bas de l’activité aux Etats Unis au mois d’avril – après une chute d’activité de 14% – qui sera suivie d’une reprise régulière qui nous ramènera presque au point de départ en juillet 2021. La plupart des autres bureaux voient un retour à la normale plus rapide. Les révisions de scenarii, toutes à la baisse depuis six semaines, ne pourraient-elles pas encore se poursuivre ?
L’action publique comptera beaucoup et positivement mais l’essentiel de la normalisation va dépendre du comportement des ménages. Ils se remettront au travail mais à quel rythme vont-ils retrouver la confiance, le gout des choses, leurs habitudes de vie et leur envie de dépenser ? Les populations ont été apeurées par la brutalité des mesures prises et par les discours alarmants tenus par tant de responsables. La confiance va-t-elle revenir après une telle vague de défiance tant qu’un vaccin ou un remède convaincant n’est pas sur le marché ? C’est à voir. Le consensus de marché sur le scenario de base n’est pas si pessimiste que cela et pourrait peut-être encore se dégrader. Dans ce cas les indices boursiers pourraient aller plus bas.
- La reprise en Chine esquisse les réponses à nos interrogations
Les autorités le martèlent en boucle sur les ondes chinoises : « le virus est terrassé, la vie doit reprendre son cours. Sortez, profitez, consommez ». Au-delà des plans de relance et de soutien aux banques, aux entreprises et aux ménages, l’enjeu principal, après la remise au travail de la population, est de faire repartir la consommation. Ce n’est pas une mince affaire. La population reste physiquement et psychologiquement affectée. Physiquement parce que le port du masque et les mesures de distanciation sont toujours d’actualité. Psychologiquement car la confiance ne revient que lentement.
Parce que la Chine est sortie de la phase de confinement avec environ deux mois d’avance sur nous, il est passionnant d’y observer la reprise de l’activité. Le Financial Times a mis au point un indicateur synthétique de l’activité économique des ménages (dépenses, achats immobiliers), le FT China Economic Activity Index. Pour l’instant le rythme de la reprise reste assez modeste. Va-t-il s’accélérer ? Attendons et observons. En Occident comme en Chine, la reprise se jouera principalement sur le comportement des individus. Rappelons que la consommation des ménages représente 70% du PIB américain et 56% du PIB de la zone Euro.